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Analyse du procès Kavumu

Daniele Perissi et Elsa Taquet de TRIAL International résument et analysent le procès Kavumu et son verdict pour International Justice Monitor.





Le procès du Kavumu: la complémentarité en action en République Démocratique du Congo


Le 13 décembre 2017, dans une décision historique, une cour militaire au Sud-Kivu a condamné 11 membres de la milice congolaise pour meurtre et viol constitutifs de crimes contre l’humanité. La cour, qui a été déplacée en audience foraine dans le village de Kavumu, a conclu que les accusés constituaient un groupe armé qui, contrôlé par le député Frédéric Batumike, avait violé 40 fillettes. Les 11 hommes, y compris Batumike, ont été condamné à la prison à vie.


C’était la première fois en République Démocratique du Congo (RDC) qu’un parlementaire en poste a été reconnu coupable pour des crimes en vertu du droit international. Ce jugement a mis un terme à une affaire qui s’est étendue sur presque cinq ans et incarne le fléau des violences sexuelles qui ravage encore certaines parties de la RDC.


Cet article va brièvement présenter les faits ainsi que les étapes-clés au niveau de la procédure dans l’affaire du Kavumu. Il s’agira ensuite de discuter de quelques points importants à retenir du jugement de Kavumu qui représente non seulement un précédent jurisprudentiel pour le système de justice de la RDC, mais aussi livre les ingrédients-clés pour lutter contre l’impunité pour les crimes de violence sexuelle à utiliser dans d’autres juridictions.


Les faits de l'affaire


Entre début 2013 et Juin 2016, dans le village de Kavumu, à une dizaine de kilomètres de Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, 40 fillettes âgées de 18 mois à 10 ans ont été enlevées et violées avant d’être rendues à leur famille.


Un mode opératoire similaire a été utilisé dans chacun de ces cas : après avoir été enlevée au milieu de la nuit par quelques hommes, la victime a été violée et ensuite un échantillon de sang de son hymen a été prélevé avant qu’elle ne soit abandonnée à côté du village. Du fait que les familles dormaient et que les victimes étaient jeunes et vulnérables, les auteurs n’ont pas été identifiés. De par la violence des abus, la plupart des victimes a conservé des lésions permanentes à leur système reproducteur et subi des traumatismes extrêmes. Elles ont été soignées à l’hôpital Panzi à Bukavu mais la réadaptation physique et psychologique est loin d’être terminée.


La procédure


Pendant deux ans, malgré les démarches juridiques entreprises par les familles des victimes ainsi que la documentation et le plaidoyer effectués par des acteurs locaux et internationaux organisés sous forme d’un groupe de travail dirigé par Physicians for Human Rights, le procureur local a refusé d’entreprendre une investigation sérieuse.


Cependant, au début 2016, les avocats représentant les victimes, conseillés par TRIAL International, ont lancé une pétition avec succès pour remplacer le procureur local par un procureur militaire provincial étant donné qu’il y avait assez de preuves que les viols faisaient partie d’une attaque globale constitutive d’un crime contre l’humanité.


En juin 2016, les investigations ont mené à l’arrestation de Frédéric Batumike. Un membre de l’assemblée provinciale du Sud-Kivu, Batumike a été arrêté avec une dizaine d’autres membres présumés de la milice, suspectés d’être impliqué dans les viols systématiques. Au même moment, le gouvernement national à Kinshasa a reconnu l’urgence de ces affaires et décidé d’en faire une priorité.


En Septembre 2017, le procureur militaire a inculpé 18 prévenus pour viols constitutifs de crimes contre l’humanité et d’autres infractions dont meurtre et organisation d’une milice. Le procès a commencé en novembre 2017, il a fallu 23 jours d’audiences et une dizaine de témoins ont été entendus. Des preuves médico-légales étendues ont été soumises à la cour. La cour militaire a trouvé qu’11 des accusés faisaient partie d’une milice, dirigée par Batumike, qui a commis des attaques contre la population civile ainsi que des postes militaires. Les attaques comprenaient surtout les viols systématiques des fillettes dans le Kavumu afin que les combattants puissent être protégé des balles au combat, selon une pratique traditionnelle relevant de la sorcellerie.


Les mesures de protection pour les enfants victimes : un défi majeur


En vertu du droit international, l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de sa sécurité physique et psychologique sont les principes directeurs de toutes les procédures concernant des mineurs en tant que victimes. Dans cette affaire, implémenter ces principes posait un défi particulier considérant l’âge des victimes, la gravité des abus ainsi que le niveau de traumatisme et stigmatisation.


La communauté juridique internationale a développé un cadre solide en matière de protection des enfants dans les procédures judiciaires. Parmi les standards internationaux pertinents, la Politique générale relative aux enfants de 2016 de la Cour Pénal Internationale (CPI) par le Bureau du Procureur indique que « il convient d’éviter tout contact, toute confrontation ou échange direct, entre un enfant victime ou témoin et l’auteur présumé du crime en cause, sauf si l’enfant en exprime le souhait. En conséquence, le Bureau […] peut également demander l’autorisation de présenter des témoignages d’enfants préalablement enregistrés sur support audio ou vidéo au titre de la règle 68 du Règlement. » (Selon la règle 68 du Règlement de procédure et de preuve, un témoignage préalablement enregistré peut être utilisé comme preuve lors d’un procès)


En partant de ces prémisses et en accord avec la loi congolaise qui autorise l’adoption de toute mesure nécessaire afin de protéger la sécurité physique et psychologique des victimes de violence sexuelle, de nouvelles mesures de protection ont été implémentées dans l’affaire du Kavumu. Pour la première fois en RDC, en plus des évaluations médicales et psychologiques pour apprécier correctement les préjudices infligés aux victimes, les autorités chargées de l’enquête ont demandé que des entretiens enregistrés par vidéo avec les victimes soient conduits en présence d’experts nationaux et internationaux en traumatismes chez les enfants. De ce fait, les victimes pouvaient avoir accès à des traitements post-traumatiques holistiques durant toute la procédure d’administration des preuves.


Pendant le procès, les avocats des victimes ont demandé une série de mesures de protection, notamment l’utilisation de codes à la place des noms des témoins et victimes pendant toute la procédure judiciaire, l’anonymat pour les victimes ou témoins qui témoignaient (couverts de la tête au pied et à l’aide d’équipements altérant leur voix), et l’admission de témoignages préenregistrés au lieu de témoignages en personne des victimes. Reconnaissant la nécessité de ces mesures et assurant leur implémentation, la cour militaire du Sud-Kivu a établi un important précédent pour une réponse pénale davantage axée sur les victimes concernant les crimes de violence sexuelle.


Le Statut de Rome l’emporte sur les immunités nationales


Au début du procès, les avocats de la défense ont soutenu que la procédure pénale contre Batumike était inconstitutionnelle puisque la cour militaire avait violé les immunités contre les poursuites judiciaires dont ce dernier jouissait en qualité de membre du Parlement, selon l’Article 107 de la Constitution congolaise.


La cour, ayant traité de cette motion dans une décision préliminaire (arrêt avant dire droit), a affirmé que « la cour est d’avis que la qualité de député provincial procure au prévenu BATUMIKE les immunités qui, malheureusement, sont battues en brèche par l’Art. 27 du Statut de Rome de la CPI qui énonce le défaut de pertinence de qualité officielle de député par rapport au crime international lui infligé ». En d’autres termes, s’il est vrai que les parlementaires en poste jouissent d’immunités contre les poursuites conférées par la Constitution, le principe de défaut de pertinence de la qualité officielle dans les cas d’investigations et de poursuites pour crimes internationaux – figurant à l’Article 27 du Statut de Rome – prévaut sur la disposition constitutionnelle.


L’immunité de Batumike a donc été rendue non pertinente, et aucune violation de la Constitution n’a été constatée.


Ce raisonnement est très intéressant puisqu’il soutient la primauté du Statut de Rome sur la Constitution nationale dans la mesure où les immunités nationales sont concernées. Il semble donc que l’objet et le but du Statut de Rome, qui sont de poursuivre et sanctionner les responsables des crimes les plus graves, dérogent aux obstacles légitimes à la responsabilité, comme les immunités de poursuites. De par cette décision, il peut en être déduit que les immunités conférées par la Constitution aux membres du gouvernement ou au chef d’État ne sont pas pertinentes quand il s’agit de poursuites pour crimes internationaux.


Prendre au sérieux la criminalité de groupe


Un des défis judiciaires majeurs dans l’affaire du Kavumu était que, de par la nature des crimes et la brutalité de leur mode opératoire, seule une victime a pu identifier son auteur direct comme l’un des prévenus et membres de la milice. C’était donc presque impossible d’établir qui, parmi les miliciens, était l’auteur matériel de chaque viol.


La jurisprudence pénale internationale a développé plusieurs doctrines juridiques, telle que l’entreprise criminelle commune, afin d’identifier des manifestations de criminalité collective quand des crimes sont perpétrés par des groupes ou des individus agissant dans un dessein commun.


Après avoir considéré que les victimes ne pouvaient pas identifier les auteurs directs à cause de leur jeune âge et des circonstances dans lesquelles les crimes ont été commis, la cour a appliqué l’Article 25 du Statut de Rome. L’Article 25 contient plusieurs formes de responsabilité pénale dont les co-auteurs, les auteurs indirects et les complices dans les crimes commis par un groupe.


La cour a conclu que « le prévenu est responsable non pas parce qu’il a commis matériellement les faits, mais parce qu’il prit le risque d’adhérer à un mouvement subversif qu’il savait mener des viols à grande échelle. Ainsi, chaque membre répondra de sa participation à un tel mouvement et aux actes conséquences qui en sont résulté. » En d’autres termes, la cour a démontré que les accusés faisaient partie d’un groupe de personnes agissant dans un dessein commun. Le fait qu’ils aient intentionnellement contribué à des actes criminels de la milice, tout en sachant son intention de systématiquement violer des enfants, suffit à les tenir responsable des viols commis sur les filles du Kavumu.


En appliquant l’Article 25 du Statut de Rome, la cour militaire a pu résoudre la question de la criminalité collective dans les attaques de Kavumu et tenir les membres de la milice responsables de leur action.


Conclusion


La poursuite pénale pour les crimes de masse présente des défis considérables pour toute juridiction, nationale ou internationale. En plus de la complexité du contexte dans lequel ces crimes sont typiquement commis, collecter des témoignages– en particulier quand il s’agit d’enfants-victimes – et prouver la responsabilité pénale individuelle quand les auteurs directs ne peuvent être identifiés sont des tâches colossales. Le manque de mesures appropriées de sécurité et de protection, de plus que l’existence de dispositions sur l’immunité protégeant les fonctionnaires peuvent encore poser problème.


Dans l’affaire du Kavumu, les autorités judiciaires congolaises, travaillant avec des partenaires locaux et internationaux, sont arrivées à surmonter des enjeux complexes d’une façon concrète et innovante, donnant un exemple important pour la lutte mondiale contre l’impunité des crimes en vertu du droit international et démontrant le potentiel du système de complémentarité ancré dans le Statut de Rome de la CPI.



Daniele Perissi et Elsa Taquet sont des conseillers juridiques travaillant sur le projet RDC pour TRIAL International, une organisation non-gouvernementale luttant contre l’impunité pour les crimes internationaux et soutenant les victimes dans leur quête de justice. TRIAL International a constitué et entraîné un collectif d’avocats congolais représentant les filles du Kavumu et leurs familles. Ils ont contribué à documenter l’affaire ainsi qu’à élaborer la stratégie juridique et judiciaire adoptée par les parties civiles au procès du Kavumu.


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