L'affaire Kavumu est devenue, de par son verdict historique, le symbole de la lutte contre l'impunité des violences sexuelles en République Démocratique du Congo (RDC).
©PHR Militaires congolais, à l'arrière on peut apercevoir un convoi de casques bleus pakistanais qui assure la protection durant le procès
Des paysages arcadiens
Elsa Taquet, conseillère juridique pour le programme RDC de TRIAL International, et présente pendant le procès, nous plonge dans le décor du village de Kavumu.
Elle raconte :
« Kavumu est placé dans les hauteurs, aux abords du lac Kivu, l’un des Grands Lacs d’Afrique, et du parc national de Kahuzi-Biega. Tout autour, on peut voir de grandes étendues verdoyantes et vallonnées, des champs de cannes à sucre et des bananeraies à perte de vue. Ces paysages idylliques contrastent avec l’extrême pauvreté et l’insécurité qui caractérisent le village de Kavumu et ses environs. La population vit presque exclusivement de l'agriculture. Les villageois viennent vendre leurs récoltes journalières sur les bords de la route qui relie leur village à Bukavu. »
©Google Maps
C'est dans cet environnement qui ne laisse pas indifférent, que se sont déroulés des crimes effroyables. Effectivement, entre 2013 et 2016, une quarantaine de fillettes âgées de 18 mois à 12 ans ont été enlevées dans les environs de Kavumu.
Chaque fois le même mode opératoire était utilisé : les petites filles étaient enlevées en pleine nuit, à leur domicile à l'insu de leurs parents. Elles étaient ensuite amenées dans la forêt et violées sur place. Leur sang hyménal était prélevé, souvent à l'aide d'objets tranchants. Puis elles étaient ramenées chez elles, ou abandonnées inconscientes sur les lieux du crime.
©Anne Ackermann
Examinées à l'hôpital de Panzi puis opérées par le docteur Denis Mukwege, la plupart de ces filles souffrent toujours de dommages permanents à leurs organes sexuels et sont toujours traumatisées.
Des pratiques fétiches à l'origine de ces crimes
La lourde enquête menée dans le cadre de ce procès a permis de rattacher le modus opératoire de ces attaques à une milice particulièrement active à Kavumu : la milice Yeshi la Jesu (l'armée de Jésus), dirigée par le politicien et député provincial, Frédéric Batumike. Cette milice était connue pour ses attaques contre les positions militaires de la région.
Des fétiches présentés à la Cour
Durant le procès, il a pu être prouvé que les viols des petites filles étaient commis par les homme de Batumike dans le but de fabriquer des gris-gris protecteurs de balles, avec le sang des victimes.
©TRIAL International- Armes blanches saisies aux mains des personnes arrêtées dans la plantation de Bishiburu, la plantation appartenait à Batumike
« Les ravisseurs s’introduisaient dans nos maisons de nuit pour enlever nos filles », raconte une mère de famille sous couvert d’anonymat. « Ils les violaient par pure superstition, et beaucoup sont mortes ou souffriront de lésions toute leur vie. »
Un procès qui transcende les frontières
Le procès, qui s'est ouvert le 9 novembre 2017, cinq ans après les premiers viols sur mineurs, est le fruit d'un travail acharné au niveau local et international. Initialement, ces attaques étaient considérées comme des évènements isolés et les parents des victimes étaient découragés de porter plainte.
La société civile congolaise et les organisations internationales ont combiné leurs efforts pour attirer l'attention des autorités nationales et construire un dossier solide. La complexité et la perversité de ces crimes ont mis le système de justice congolais à rude épreuve.
Des experts de la police scientifique, du domaine médico-légal, des psychologues et juristes provenant de la RDC, de la Région des Grands Lacs et d'Europe, se sont unis avec pour but d'obtenir justice et indemnisation pour ces jeunes victimes et leurs proches.
©PHR La cour militaire à Kavumu
Une équipe de la Radio Télévision Suisse (RTS), s'est même rendue sur place pour effectuer un reportage. Une des journalistes décrit le procès comme « un évènement exceptionnel dans un pays où d’habitude les plaintes sont enterrées avec les dollars ».
©RTSInfo Elsa Taquet et Daniele Perissi, responsable du programme RDC pour TRIAL International aux côtés des avocats des parties civiles
©RTSInfo Elsa Taquet répondant à la RTS en RDC
Revirements et menaces
L'un des aspects les plus marquants du procès a été l'attitude de Monsieur Batumike, chef de la milice Yeshi La Jesu (l'armée de Jésus) et député local.
Au moment de l'ouverture du procès, il paraissait sûr de lui car il était persuadé de jouir d'une immunité, « mais au bout de cinq jours, et vu la gravité des faits qui lui étaient reprochés, il a compris qu’il n’était plus intouchable. La confiance a laissé place à la peur et à la colère, car pour la première fois il réalisait que le procès ne serait pas suspendu. Par contre, pas une seule fois je n'ai vu de remord sur son visage. » a expliqué Elsa Taquet.
©TRIAL International Batumike le chef de la milice face à un des avocats
Les avocats des parties civiles ainsi que les témoins et victimes ont aussi dû faire face à des menaces.
« Il ne faut pas perdre de vue qu’il y a eu des assassinats et mort d’hommes dans cette affaire », rappelle le Docteur Denis Mukwege.
Mesures de protection mises en place
Suite à des demandes du ministère public et des parties civiles, des mesures de protection ont été adoptées au cours du procès au bénéfice des victimes et des témoins. Au vu de l'âge des victimes et du niveau de traumatisme souffert par ces dernières et leurs familles, ces mesures de protection étaient essentielles :
- l'encodage des noms des témoins, victimes, parties civiles
- l'utilisation d'appareils de distorsion de la voix pour les auditions des témoins et parties civiles
- l'utilisation des isoloirs pour la déposition de certains témoins et huit-clos pour les parties civiles
©PHR Les isoloirs durant le procès
- l'utilisation des cagoules pour les auditions des témoins et des parties civiles
©PHR Les témoins couverts de la tête aux pieds
Ces mesures, dont certaines étaient ordonnées pour la première fois en RDC ont permis de prévenir une re-victimisation des petites filles. Notamment grâce à l'utilisation de leurs témoignages préenregistrés, en lieu et place de leur comparution durant le procès.
Un message d'espoir nécessaire pour la population
« Ce verdict montre que même un homme aussi puissant et influent que Batumike n’est pas à l’abri de la justice et qu’un député provincial ou national n’est pas protégé contre des poursuites criminelles lorsqu’il s’agit de crimes internationaux » dit Elsa Taquet.
« Le deuxième message que ce procès envoie à la population congolaise et au reste du monde est que pour des crimes aussi odieux, tout sera fait, même dans un contexte aussi difficile que la RDC pour punir les responsables et prévenir des futurs crimes similaires. J'espère que ce procès aura permis d'apporter de l’espoir à toutes les autres victimes de violences sexuelles. »
©PHR La foule au procès Kavumu
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