Ancien enfant soldat, Lenin Bista nous raconte comment, à l’âge de 11 ans, sa vie a pris une tournure imprévisible. Après avoir vécu la guerre et l’humiliation, il plaide désormais en faveur du droit à la justice et à des réparations pour tous les enfants soldats.
Dans le deux pièces qu’il loue dans la ruelle de Kaushaltar, Lenin Bista, l’ancien enfant soldat, a fondé quelque chose qu’il n’aurait jamais cru possible quelques années auparavant : un foyer. Aujourd’hui, il est marié et père d’un garçon de trois mois. Il est heureux à bien des égards, mais son passé a laissé des traces que le temps n’a pas suffi à effacer. Il est présent dans les photos, les souvenirs et les cicatrices.
Sa maison est remplie de vieilles photos : certaines sont encadrées et d’autres rassemblées dans un album, soigneusement rangé dans une armoire. Il les regarde avec nostalgie et dit : « J’avais 11 ans la première fois que j’ai entendu parler de la guerre et de ses victimes à la radio. Comme je n’étais qu’un enfant, je ne prêtais pas attention aux informations. » Il était loin d’imaginer qu’il participerait bientôt à cette même guerre.
L’année 2009 a été très difficile pour lui. Suite au décès de sa mère, son père s’était remarié. Après cela, la maison n’était plus la même. Élève de CM2 à l’époque, il a décidé d’aller passer ses vacances dans la maison de sa mère à Makwanpur, dans l’espoir de trouver un peu de paix et une solution à la situation. Pendant son séjour, il a décidé de faire une randonnée dans les environs de Makwanpur avec cinq de ses amis. Ces décisions ont été décisives dans la vie de Lenin.
« Je me remettais du traumatisme d’avoir perdu ma mère. C’est durant cette période délicate que nous avons croisé sur notre chemin, les membres d’un programme de recrutement maoïste. Leur programme était grandiose ; ils chantaient des chants nationalistes, parlaient des droits des castes inférieures et des problèmes qu’elles rencontraient, et incitaient les gens à prendre part au changement. J’ai été touché par leur message. C’est à ce moment que j’ai décidé de rallier le groupe. Sans consulter personne, je les ai suivis », explique-t-il.
« Il n’y avait pas de journée ’normale’ »
Au bout de quelques jours d’absence, sa famille a signalé sa disparition, mais leur demande est restée vaine. Entre temps, Lenin avait été escorté jusqu’à Chattyon, un village abandonné qui se situait à près de 40 km de Makwanpur. Là-bas, il a été initié au monde des combattants de la guérilla maoïste.
Il porte son regard vers la fenêtre et dit : « Il n’y avait pas de journée 'type'. Chaque jour apportait son lot de nouveaux défis. Je me levais habituellement à quatre heures du matin pour suivre un entraînement quotidien de course à pied et d’exercices. Certains jours, nous avions des sessions d’entraînement supplémentaires avec des armes, des cours de formation au commandement, etc. » Durant les jours d’accalmie, ils se réunissaient, cuisinaient et s’acquittaient de leurs tâches, parfois jusque tard dans la nuit.
Le travail de Lenin, qui faisait partie du service des renseignements, consistait à se rendre dans les différents lieux où la guérilla était présente pour recueillir des informations sur les conditions politiques et militaires dans la région.
Au camp, il raconte, « il y avait un immense arsenal d’armes avec des pistolets, des fusils, des fusils de chasse, des mitrailleuses, des mousquets, des mortiers et autres. Pendant la première semaine, nous avons été répartis au hasard dans différents groupes. J’ai été affecté au service du renseignement et mes amis à d’autres groupes. Après cela, je ne les ai plus jamais vu. Mais des mois plus tard, j’ai appris que deux d’entre eux avaient perdu la vie », confie-t-il les larmes aux yeux.
Pendant son séjour, il a rarement rencontré d’autres combattants. Mais, quand ça lui arrivait, il ressentait immédiatement une connexion avec eux. Ils étaient tous en guerre, entourés par l’incertitude et le danger. Ainsi, quand ils se retrouvaient, ils se saluaient humblement et communiquaient franchement.
Impossible de distinguer le bien du mal
« C’était une réalité complètement différente. C’était comme s’ils nous avaient lavé le cerveau avec leurs discours sur le nationalisme et les droits du peuple. J’aimais l’idée que je me battais au nom du peuple, j’étais incapable de distinguer si mes actions étaient bonnes ou mauvaises », dit Lenin.
Il faisait partie des combattants maoïstes qui ont pris l’hôpital du district de Chautara et l’ont utilisé pour attaquer la base militaire adjacente qui protégeait une tour de télécommunication. Les maoïstes ont perdu ce combat. Lenin s’est échappé à temps, mais environ 1000 combattants ont été capturés ce jour-là.
« La plupart des souvenirs que j’ai de cette période sont durs. J’ai été témoin de la mort de mes amis et camarades de combat. Nous n’avions même pas le temps de les pleurer », se rappelle-t-il, l’air triste.
Ils devaient marcher pendant des jours et des nuits, se déplacer de villages en villages pour recueillir des informations. Certains jours, ils n’avaient rien à manger et, certaines nuits, nulle part où dormir. « Je me rappelle avoir emporté un petit sac de farine pour passer la faim. Quand j’y repense, tout cela ressemble à une scène de film de guerre. Pourtant, c’était ma vie », raconte l’ancien combattant.
La fin de la guerre, pas la fin de la lutte
À la fin de la guerre civile en 2006, Lenin et les 19 000 autres combattants maoïstes ont été envoyés dans des camps supervisés par les Nations Unies, où ils ont pu choisir entre être intégrés dans l’armée nationale ou prendre un plan de retraite volontaire. Comme beaucoup d’autres, Lenin voulait entrer dans l’armée nationale. Cependant, il a été disqualifié car il était mineur au moment de la signature des accords de paix. Cette décision l’a amèrement déçu.
« J’ai été démobilisé et je n’ai pas pu intégrer l’armée nationale. Ils nous ont obligé à prendre une retraite volontaire. Après des années d’épreuves, je me suis senti trahi par le parti », explique Lenin.
Il faisait partie des 3 000 enfants soldats de la guérilla maoïste jugés inaptes. On leur a donné des billets de bus pour qu’ils rentrent chez eux et promis qu’ils recevraient une formation professionnelle. Pour Lenin, cette formation n’a été d’aucune utilité.
Il a eu une véritable prise de conscience : on lui offrait peut-être une seconde chance, mais rien ne pouvait lui rendre ce qu’il avait perdu. « J’ai perdu mon enfance. J’avais 11 ans quand j’ai pris les armes, alors que j’étais censé étudier. C’est l’un de mes plus grands regrets. »
Sans diplôme, l’ancien enfant soldat avait du mal à trouver un emploi décent. La plupart de ses camarades de combat ne pouvaient pas rentrer chez eux en raison de la stigmatisation sociale. Beaucoup d’entre eux ont payé pour partir travailler dans les pays du golfe Arabique ou en Malaisie. Certains ont trouvé la réhabilitation trop difficile et se sont suicidés.
« Nous devons défendre nos droits »
Quant à Lenin, il est retourné à Kavre, sa ville natale, et a décidé de poursuivre ses études. Il a préparé l’examen au niveau du district et l’a réussi. Puis, il a étudié pour passer un certificat privé de fin d’étude secondaire (School Leaving Certificate ou SLC) à Chitwan, qu’il a obtenu en 2015. Il a ensuite fait des études supérieures à la Nightingale Academy de Kavre.
« J’encourage tous les anciens combattants que je rencontre à ne pas perdre espoir et à continuer de lutter pour nos droits et pour le futur de notre génération. Nous avons dû nous battre tout au long de notre vie et il est grand temps que cela soit reconnu », déclare-t-il.
Les années ont passé, mais aucune mesure de réhabilitation n’était en vue. Les anciens enfants soldats commençaient à se sentir trahis : le « chef de la révolution » était devenu le politicien qu’ils méprisaient tant.
« Je me suis rendu compte que nous devions défendre nos propres droits, car personne ne venait à notre secours. J’ai donc fondé mon organisation : Discharged People’s Liberation Army Nepal, pour la reconnaissance, la réparation et la sécurité des anciens enfants soldats », a dit Lenin d’une voix ferme.
Il a commencé à rencontrer la presse pour parler de la question des anciens enfants soldats. Quand cette méthode a échoué, son organisation a manifesté et bloqué le bureau des fonctionnaires maoïstes à Baneshwor. Son militantisme aura valu à Lenin d’être enlevé, volé, accusé à tort et emprisonné à plusieurs reprises. Il a été libéré à chaque fois, car rien ne justifiait une action en justice. Malgré les arrestations répétées, Lenin a obtenu sa licence d’école de commerce cette année.
Lenin est maintenant stagiaire dans un cabinet de conseil en éducation et souhaite poursuivre ses études pour obtenir un diplôme de Master. Parmi les anciens enfants soldats, il est le seul à avoir fait des études supérieures. Il veut poursuivre ses études et continuer à lutter au nom des anciens enfants soldats. Or, pour y parvenir, il a besoin d’aide.
Formation à la documentation et au plaidoyer
Il lui manque également des connaissances sur le plaidoyer et les droits reconnus par la loi. En novembre 2017, il a assisté à un atelier* au Human Rights and Justice Center de Katmandou (une organisation partenaire de TRIAL International). Dans le cadre de cette formation unique, des outils techniques, pratiques et stratégiques ont été mis en place avec et pour les anciens combattants.
Lors de la première session de formation, les participants ont appris des méthodes de documentation. La deuxième session était axée sur les techniques de plaidoyer nationales et internationales : comment préparer et soumettre un rapport à un organisme de l’ONU, organiser des réunions avec les autorités nationales et tenir une réunion d’information avec la communauté internationale établie au Népal.
« Après avoir assisté aux deux ateliers organisés par le Human Rights and Justice Center, je me sens confiant. Nous n’avons connu que la guerre et le fait d’en apprendre plus sur les lois nous a aidé à envisager une solution pacifique à notre problème », explique Lenin.
Le Human Rights and Justice Centre améliore l’accès à la justice pour les victimes de violations des droits humains au Népal, comme le génocide, la torture, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les violences sexuelles.
Il adopte une approche collaborative, dispensant aux victimes des conseils et des formations pour les aider à prendre leurs propres décisions. Dans un environnement sûr et strictement confidentiel, les victimes sont assistées par des experts juridiques tout au long des procédures.
*Le projet est soutenu par l’ambassade allemande au Népal
Toutes les photos ont été prises par ©Sabrina Dangol
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